L’humour

Il est une question délicate en matière d’humour : « Peut-on rire de tout ? »

L’une des réponses communément admises est : « Oui, mais pas avec tout le monde… »

Bonjour. Je m’appelle Victor LADOU. J’ai 44 ans et je mesure 1m88 pour 77 kilos. Je suis brun tendance grise et mes yeux sont verts. Et aujourd’hui, on m’a raconté une blague…

J’étais invité chez des amis, et alors que nous étions tranquillement en train de prendre l’apéro, leur petite fille a interrompu cette quiétude en s’approchant de moi et en me racontant une histoire qui se voulait drôle.

« Dis monsieur, tu connais l’histoire de Paf le chien ? C’est un chien qui traverse la rue et puis paf ! le chien… »

Elle m’a alors regardé avec des yeux pleins d’espoir, attendant une réaction de ma part. Sauf que je suis réfractaire à toute forme d’humour et ce, avec n’importe qui. En effet, j’ai décidé d’arrêter la pratique de l’humour. Et tout cela sans aucune aide médicale ni patch.

C’est une question de volonté…

Non parce que quand on y réfléchit un peu, ou beaucoup, tout dépend du temps que vous aurez à y consacrer, la pratique de l’humour est loin d’être innocente et n’est pas sans conséquences.

Déjà, rien ne prouve que la personne avec qui l’on veut pratiquer soit consentante. Peut-être préfèrerait-elle entendre une ode à la poésie ou écouter le silence, plutôt que de subir votre humour.

Et puis, soyons honnête, il y a énormément d’implicite, de non-dits et d’ambiguïté derrière une simple blague. La petite fille m’a alors demandé si je ne trouvais pas cela drôle. J’ai donc décidé d’être le plus honnête possible avec elle…

« Non.

Alors certes, il s’agit là d’un grand classique de l'humour dont il existe plusieurs variantes comme l’histoire de Paf le chien le 6 janvier, l’histoire de Flaf la girafe, j’en passe et des meilleures.

Je ne suis pas un recueil d’histoires drôles, contrairement à toi…

Sauf que si l'on commence à réfléchir, alors se pose très vite la question de la sécurité routière, de la maltraitance sur animaux, de la législation en matière de responsabilité civile, et donc de se demander qui est responsable : le propriétaire du chien ou de la voiture ?

S'agit-il d'un chien abandonné qui a choisi de mettre fin à sa vie car il se sentait seul et abandonné de tous (ce qui est le cas puisqu’il a été abandonné) ?

Se pose alors la question de la détresse liée à l’abandon et du soutien psychologique aux animaux.

Nous sommes en droit de nous demander : pourquoi un chien traverse-t-il la rue seul ?

Tu es tellement spirituelle que tu ne manqueras pas de répondre : « pour se rendre de l’autre côté » sans même s’apercevoir de tout ce qu’implique cette simple réponse.

En effet, on se retrouve avec une phrase comprenant un double sens. Littéral tout d’abord, où le chien traverse la rue et se retrouve tout naturellement de l’autre côté. Mais aussi le figuré où l’autre côté signifie qu’il est mort, corroboré par la chute, qui est ici plus proche de l’aplatissement, de l’histoire.

Te rends-tu compte de la détresse émotionnelle que peut causer ton histoire à quelqu’un qui n’a pas su détecter la subtilité de langage et risque donc d’être pris pour cible des railleries et autres basses moqueries ? Il deviendra alors le dindon de la farce

Dès lors, on peut aisément supposer que ce trait d’humour, que l’on qualifiera de noir, peut tout autant passer pour une absence totale d’empathie vis-à-vis de la pauvre bête que de son propriétaire ou du chauffeur.

De fait, alors que tu te gausses de la mort tragi-comique de ce brave représentant de la race canine, une petite fille comme toi n’est-elle pas en train de pleurer la perte de son meilleur ami ?

Et que sais-tu des dommages provoqués par l’écrasement de cette pauvre bête sur un conducteur un peu distrait (dommages autant matériels que physiques ou psychologiques) ? Imagine que ce soit ton papa qui l’ait écrasé.

Et qu’est-ce qui te prouve qu’au moment où tu énonce fièrement la chute de l’histoire, ton interlocuteur ne revit pas un profond traumatisme, comme la perte tragique de son animal de compagnie ou l’écrasement de sa grand-mère.

J’aurais tout aussi bien étayé mes propos en citant l’histoire de l’œuf et du kiwi, qui nous parle d’acceptation de la différence, de racisme alimentaire, de ségrégation capillaire et de compartiment de frigidaire.

Alors voilà.

J’espère que tu y réfléchiras à deux fois avant de raconter à nouveau une blague, fut-elle aussi innocente que celle de paf le chien. ».

Bonjour, je m’appelle Victor LADOU. Et aujourd’hui, j’ai perdu un couple d’ami à cause d’une histoire drôle…