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Ma vie, son blog

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Certaines histoires sont vraies. D'autres pourraient l'être. Et enfin, il faudrait être fou pour croire le reste véridique...


La passante

Publié par Victor Ladou sur 25 Septembre 2015, 18:46pm

Catégories : #Chroniques contemporaines

La passante

Elle s’appelait Mélancolie. Enfin je crois. Je n’ai jamais vraiment su son prénom. Personne n’a su me le dire. Et après, cela n’avait plus aucune importance. J’ignore même s’ils le connaissaient vraiment. J’ignore même s’ils la connaissaient seulement.

Nous avons travaillé ensemble dans la même boite pendant presque un an et je n’ai jamais su son prénom. Ou peut-être si. Une fois. Quand je suis arrivé et que l’on m’a présenté à mes nouveaux collègues. Mais il s’est noyé dans le flot innombrable des visages sans nom et celui intarissable des noms sans visages.

Ou peut-être si. Une autre fois. Mais je ne suis même pas sûr de l’avoir vraiment saisi. Et puis de tout façon, il était déjà trop tard. D’ailleurs à ce moment, cela n’avait déjà plus vraiment d’importance.

Alors moi, j’ai imaginé que son prénom était Mélancolie. Cela me rassure sur ma propre lâcheté. Je la croisais quasiment quotidiennement. Soit quand elle passait dans le couloir, soit accroupie en train de chercher des micro fiches, soit quand elle passait dans mon bureau pour descendre aux archives.

Et malgré cette fréquence, je n’ai jamais osé lui demander son prénom.

A dire vrai, je ne me suis jamais vraiment intéressé à elle. J’ai demandé, quelques fois, surtout au début, qui elle était mais personne n’a jamais su me répondre exactement. Alors moi à force, résigné, j’ai cessé de demander et de chercher. Mais je n’ai jamais cessé de vouloir le connaître. De vouloir la connaître. Vraiment.

Et puis, le temps a passé. Après tout, c’est là sa fonction première.

Peut-être aurait-il suffi que je lui pose la question quand elle passait, que j’apprenne à la connaître pour que tout soit différent. Ou pas. Qui le sait ? Qui l’a su ? Qui le saura jamais ? Pas moi en tout cas. Je n’ai même pas été capable de savoir son prénom, alors le reste…

Dieu peut-être ? Et encore, je doute qu’il le sache lui non plus. Je doute même qu’il ne ce soit jamais intéressé à elle, lui aussi. Comme nous. Sommes nous pourtant coupables ?

Mais maintenant il est trop tard et seules restent ces questions sans réponses.

C’est une de mes collègues qui l’a trouvée. Dans les archives. Pendue. Pendant plus d’une journée elle était restée là. Et personne ne s’était soucié de son absence prolongée.

Moi je l’avais vue passer dans le couloir. Elle se dirigeait vers sa mort. Et pour la première fois depuis des mois, j’ai failli lui demander son prénom. Pourquoi cette impulsion soudaine ? Je ne sais pas. Tout ce dont je me souviens c’est un sourire radieux et un visage paisible que je ne lui connaissais pas. Et c’est le seul souvenir que je garderai d’elle.

Dans la foule qui la regarde passer une dernière fois dans le couloir, un drap mortuaire recouvrant son corps, il m’a semblé entendre quelqu’un soupirer : « Pauvre Mélancolie. »

Dorénavant, quand je repenserai à elle, quand je l’imaginerai passer dans mon bureau pour descendre aux archives ou quand seul, je la verrai passer dans le couloir le soir, toujours elle arborera son sourire et toujours son visage sera radieux.

Et toujours je la saluerai en l’appelant par ce prénom qui n’est peut-être même pas le sien, mais qui est le seul que je lui connaisse : Mélancolie.

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